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Page:Montépin - La Porteuse de pain, 1973.djvu/12

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deux ou trois billets de mille francs pour essayer n’importe quoi… Mazette ! comme elle y va ! »… Les quelques paroles échangées entre les deux femmes résumaient de façon très nette la situation de Jeanne Fortier. La jeune veuve, nous le savons, avait vingt-six ans. Bonne ouvrière, experte aux travaux de couture, elle avait épousé à vingt-deux ans un brave garçon, Pierre Fortier, mécanicien dans l’usine de M. Jules Labroue. Le mécanicien était mort, quelques mois auparavant, à la suite de l’explosion d’une machine, explosion causée par son imprudence ou plutôt par une distraction d’un instant chèrement payée.

M. Labroue, voulant assurer l’avenir de la veuve et des orphelins, avait offert à Jeanne la place de gardienne-concierge de l’usine. Jeanne avait accepté avec reconnaissance parce qu’elle trouvait le moyen d’élever ses enfants. Mais, elle souffrait dans l’usine où tout lui rappelait la fin tragique du mari qu’elle pleurait. Mais s’éloigner était impossible. Il s’agissait de vivre. Or, aucun travail de couture n’aurait pu lui fournir de ressources équivalentes à celles qui résultaient de sa position à l’usine.

L’épicière de Maisons-Alfort croyait Jeanne ambitieuse. Elle se trompait. Si la jeune veuve souhaitait quelques billets de mille francs, c’était dans l’unique dessein de créer un petit commerce et d’augmenter, à force de travail, le bien-être de ses chers enfants.

En regagnant l’usine, Jeanne songeait à ces choses. Elle marchait tristement, sans rien entendre, sans rien voir. Soudain elle tressaillit. Une voix, derrière elle, venait de prononcer son nom. Son front se plissa, son visage s’assombrit mais elle ne tourna point la tête et marcha plus vite.

« Attendez-moi, madame Fortier, reprit la voix. Je retourne à l’usine. Nous ferons route ensemble. »

Georges s’était retourné, et reconnaissant celui qui parlait il s’arrêta, malgré les efforts de sa mère pour l’entraîner.

« Petite maman, dit-il, c’est mon bon ami Garaud… »

Le personnage que Georges venait de nommer Garaud