Aller au contenu

Page:Montépin - La Porteuse de pain, 1973.djvu/14

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

– Monsieur Garaud, taisez-vous, je vous en prie…

– Pourquoi me taire ? je dis la vérité !

– Vous devriez vous souvenir que cinq mois à peine se sont écoulés depuis la mort de mon pauvre Pierre, votre ami.

– Certes, je n’oublie pas ! Mais est-ce outrager sa mémoire que de vous aimer, puisque sa mort vous a rendue libre ? Est-ce l’outrager que de vous dire : « Jeanne, les enfants de Pierre, qui fut mon ami, seront les miens ! » Voyons, raisonnons. M. Labroue vous a nommée concierge de l’usine. Ça vous permet de vivoter à peu près, mais c’est tout au plus si avec vos deux enfants vous parvenez à joindre les deux bouts. Moi je gagne quinze francs par jour. Quatre cent cinquante francs par mois… Ça serait pour vous et pour les petits, le bien-être, car vous êtes aussi économe que travailleuse !… et puis j’ai de grande idées… Nous pourrions devenir riches ! Qui sait si un jour ou l’autre je ne serai point patron à mon tour ?… Alors il y aurait moyen de faire quelque chose pour les enfants. Vous seriez une heureuse femme, Jeanne, et une heureuse mère ! Je vous en prie, ne me refusez pas. Je vous aime à en devenir fou ! Je vous veux. Je vous aurai. »

Jeanne s’arrêta et regarda son interlocuteur bien en face.

« Écoutez-moi, Garaud, dit-elle d’une voix que l’émotion rendait presque indistincte. Voici la quatrième fois que, sous des formes différentes, vous me parlez de votre amour et de vos espérances. Je vous crois sincère.

– Sincère ! ah ! oui, je le suis. Je vous le jure !

– Laissez-moi achever, reprit la femme. Je ne mets point en doute vos bonnes intentions, mais je ne puis que vous faire aujourd’hui, pour la quatrième fois, la même réponse : je veux rester veuve. Je ne me remarierai jamais. J’ai trop aimé Pierre pour en aimer un autre. Mon cœur était à lui, il l’a emporté avec lui. »