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Page:Montépin - La Porteuse de pain, 1973.djvu/192

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« Vous êtes couturière, mademoiselle ? demanda-t-elle.

– Oui, chère dame, tout à votre service.

– Oh ! je n’ai point le moyen de me faire faire des robes de belles étoffes comme celles que voilà. »

Puis Lucie demanda à son tour :

« C’est vous qui m’apporterez mon pain tous les jours ?

– Aussi longtemps que je serai porteuse chez Mme Lebret, et j’espère que ça ne finira pas de sitôt.

– Si cela vous fatigue de monter jusqu’au cinquième déposez-le chez la concierge. Vous n’aurez qu’à dire : « C’est le pain de Melle Lucie. »

En entendant ce nom, Jeanne pâlit.

« Ah ! balbutia-t-elle, vous vous nommez Lucie ?

– Oui, ma chère dame.

– Un bien joli nom, un nom que j’aime… »

Jeanne fit un pas en arrière, enveloppa la jeune fille d’un dernier regard, et se retira en disant :

« À demain, mademoiselle… »

En retournant à la boulangerie la porteuse de pain pensait :

« Lucie ! Elle se nomme Lucie, comme ma petite fille ! Son nom a réveillé en mon âme de cruels souvenirs. Sa vue a produit sur moi une impression étrange. Ma fille doit avoir cet âge. Elle doit être aussi grande… aussi belle… Je veux revoir cette jeune fille… »

Le lendemain et les jours suivants, la veuve de Pierre Fortier gravissait lestement les cinq étages pour remettre elle-même son pain à Lucie. La jeune fille se sentait attirée vers cette brave femme accomplissant avec tant de courage son pénible labeur. C’était toujours par la maison du quai que Jeanne finissait sa tournée et elle se hâtait afin de pouvoir rester dans la mansarde pendant quelques minutes. Elle regardait Lucie travailler, la dévorait des yeux et partait le cœur content.

De temps à autre, Jeanne voyait Lucien auprès de sa fiancée. La fugitive de Clermont ne se doutait guère que ce beau jeune homme, dont elle ignorait le nom, était le fils de Jules Labroue qu’on l’accusait d’avoir assassiné.