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Page:Montépin - La Porteuse de pain, 1973.djvu/376

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Jeanne Fortier était rentrée un peu avant le départ de Lucie. Elle était bien changée depuis quelques jours, la pauvre Jeanne. Le choc qui brisait son enfant l’atteignait en même temps. Jeanne prêtait l’oreille aux moindres bruits se faisant entendre dans l’escalier ; enfin, les marches du cinquième étage craquèrent sous un pas incertain. L’évadée de Clermont sortit précipitamment.

« Est-ce vous, chère mignonne ?

– Oui, maman Lison, c’est moi… »

Un instant après, Lucie se jetait en sanglotant dans les bras de la porteuse de pain.

« Mon Dieu, mon Dieu, qu’y a-t-il donc ? fit celle-ci, ne pouvant comprendre le désespoir de la jeune fille.

– Ce qu’il y a, maman Lison ? répondit Lucie dont les larmes et les sanglots redoublèrent, je suis trahie, abandonnée ! il ne m’aime plus… Il m’oublie… »

Et la pauvre enfant fit part à maman Lison de ce qui venait de se passer rue de Miromesnil.

« Ma fille, mon enfant, ma mignonne, fit Jeanne en l’entourant de ses bras, il ne faut pas pleurer ; il faut être forte.

– De la force ! Est-ce que je puis en avoir ? Mon avenir, c’était Lucien ! Aujourd’hui Lucien me manque, je n’ai plus qu’à mourir et je mourrai bientôt…

– Lucie… cria la porteuse de pain, de pareilles idées sont funestes, elles sont dangereuses. Chassez-les !

– Non, je ne les chasserai pas ! Je mourrai. Mais avant de mourir, je veux être certaine que l’homme qui disait m’aimer se vend aux millions de Melle Harmant. J’irai l’attendre à la porte de sa maison, à la porte de l’usine, et il sera bien forcé de me répondre alors.

– Non… non… Lucie, vous ne ferez pas cela…

– Pourquoi donc ne le ferais-je pas ? Je souffre. N’ai-je point le droit de savoir d’où viennent mes souffrances ?

– Que vous importent les motifs s’il ne doit en résulter pour vous qu’une douleur de plus.

– Une douleur de plus ? que croyez-vous donc, maman Lison ?