Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 1.djvu/155

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

   Ie tremble de m’y perdre, & aux rives m’aſſure.
Ie crains, en louant mal, que ie te faſſe iniure.
   Mais le peuple étonné d’ouïr tant t’eſtimer,
   Ardant de te connaître, eſſaie à te nommer,
   Et cherchant ton ſaint nom ainſi à l’aventure,
Ébloui n’atteint pas à voir choſe ſi claire,
   Et ne te trouve point ce groſſier populaire,
Qui n’ayant qu’un moyen, ne voit pas celuy-là :
   C’eſt que s’il peut trier, la comparaiſon faite,
   Des parfaites du monde, une la plus parfaite,
   Lors, s’il a voix, qu’il crie hardiment la voilà.

VIII.

Quand viendra ce iour-là, que ton nom au vrai paſſe
   Par France dans mes vers ? combien & quantes fois
   S’en empreſſe mon cœur, s’en démangent mes doigts ?
   Souvent dans mes écrits de ſoy meſme il prend place.
Maugré moy ie t’écris, malgré moy ie t’efface,
   Quand Aſtrée viendroit & la foi & le droit,
   Alors ioyeux ton nom au monde ſe rendroit.
   Ores c’eſt à ce temps, que cacher il te faſſe,
C’eſt à ce temps malin une grande vergogne
   Donc Madame tandis tu ſeras ma Dordogne.
Toutefois laiſſe-moi, laiſſe-moi ton nom mettre,
   Ayez pitié du temps, ſi au iour ie te metz,
   Si le temps ce connaît, lors ie te le prometz,
   Lors il ſera doré, s’il le doit iamais eſtre.

IX.

O entre tes beautez, que ta conſtance eſt belle.
   C’eſt ce cœur aſſuré, ce courage conſtant,
   C’eſt parmi tes vertus, ce que l’on priſe tant :
   Auſſi qu’eſt-il plus beau, qu’une amitié fidelle ?
Or ne charge donc rien de ta sœur infidele,