Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 1.djvu/164

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De mes douleurs, je crois quelque merci,
Qu’en penſez-vous ? puis-je durer ainſi,
Si à mes maux treſves ne ſont données ?
Or ſi quelqu’une à m’écouter s’incline,
Oyez pour Dieu ce qu’ores je devine.
Le jour eſt près que mes forces jà vaines
Ne pourront plus fournir à mon tourment.
C’eſt mon eſpoir, ſi je meurs en aimant,
Adonc, je crois, faillirai-je à mes peines.

XXVII.

Lorſque laſſe eſt, de me laſſer ma peine,
Amour d’un bien mon mal rafraîchiſſant,
Flatte au cœur mort ma plaie languiſſant,
Nourrit mon mal, & luy foit prendre haleine.
Lors je conçois quelque eſpérance vaine :
Mais auſſitoſt, ce dur tyran, s’il ſent
Que mon eſpoir ſe renforce en croiſſant,
Pour l’étouffer, cent tourments il m’amène
Encor tous frais : lors je me vois blamant
D’avoir été rebelle à mon tourment.
Vive le mal, oſ dieux, qui me dévore,
Vive à ſon gré mon tourment rigoureux.
Ô bienheureux & bienheureux encore
Qui ſans relache eſt toujours malheureux.

XXVIII.

Si contre amour je n’ai autre défenſe
Je m’en plaindrai, mes vers le maudiront,
Et après moy les roches rediront
Le tort qu’il foit à ma dure conſtance.
Puiſque de luy j’endure cette offenſe.
Au moins tout haut, mes rythmes le diront,
Et nos neveux, alors qu’ils me liront,