Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 1.djvu/251

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celuy qu’on menoit pour estre presenté aux bestes devant le peuple, qui demanda congé d’aller à ses affaires ; et, n’ayant autre moyen de se tuer, il se fourra ce baston et esponge dans le gosier et s’en estouffa. Ils s’essuyoient le catze de laine perfumée, quand ils en avoyent faict :

At tibi nil faciam, sed lota mentula lana.

Il y avoit aux carrefours à Rome des vaisseaux et demy-cuves pour y apprester à pisser aux passans,

Pusi saepe lacum propter, se ac dolia curta
Somno devincti credunt extollere vestem.


Ils faisoyent collation entre les repas. Et y avoit en esté des vendeurs de nege pour refréchir le vin ; et en y avoit qui se servoyent de nege en hyver, ne trouvans pas le vin encore lors assez froid. Les grands avoyent leurs eschançons et trenchans, et leurs fols pour leur donner plaisir. On leur servoit en hyver la viande sur des fouyers qui se portoient sur la table ; et avoyent des cuisines portatives, comme j’en ay veu, dans lesquelles tout leur service se trainoit apres eux,

Has vobis epulas habete lauti ;
Nos offendimur ambulante caena.

Et en esté ils faisoyent souvent, en leurs sales basses, couler de l’eau fresche et claire dans des canaus, au dessous d’eux, où il y avoit force poisson en vie, que les assistans choisissoyent et prenoyent en la main pour le faire aprester chacun à sa poste. Le poisson a tousjours eu ce privilege, comme il a encores, que les grans se meslent de le sçavoir aprester : aussi en est le goust beaucoup plus exquis que de la chair, au moins pour moy. Mais, en toute sorte de magnificence, de desbauche et d’inventions voluptueuses, de mollesse et de sumptuosité, nous faisons, à la verité, ce que nous pouvons pour les égaler, car nostre volonté est bien aussi gastée que la leur ; mais nostre suffisance n’y peut arriver : nos forces ne sont non plus capables