Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 1.djvu/271

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Noctem peccatis et fraudibus objice nubem. Les Dieux punirent griefvement les iniques vœux d’Oedipus en les luy ottroyant. Il avoit prié que ses enfans vuidassent par armes entre eux la succession de son estat. Il fut si miserable de se voir pris au mot. Il ne faut pas demander que toutes choses suivent nostre volonté, mais qu’elles suivent la prudence. Il semble, à la verité, que nous nous servons de nos prieres comme d’un jargon et comme ceux qui employent les paroles sainctes et divines à des sorcelleries et effects magiciens ; et que nous facions nostre conte que ce soit de la contexture, ou son, ou suite des motz, ou de nostre contenance, que depende leur effect. Car, ayant l’âme pleine de concupiscence, non touchée de repentance ny d’aucune nouvelle reconciliation envers Dieu, nous luy alons presenter ces parolles que la memoire preste à nostre langue, et esperons en tirer une expiation de nos fautes. Il n’est rien si aisé, si doux et si favorable que la loy divine : elle nous appelle à soy, ainsi fautiers et detestables comme nous sommes : elle nous tend les bras et nous reçoit en son giron, pour vilains, ords et bourbeux que nous soyons et que nous ayons à estre à l’advenir. Mais encore, en recompense, la faut il regarder de bon oeuil. Encore faut-il recevoir ce pardon avec action de graces ; et, au moins pour cet instant que nous nous addressons à elle, avoir l’ame desplaisante de ses fautes et ennemie des passions qui nous ont poussé à l’offencer ; Ny les dieux, ny les gens de bien, dict Platon, n’acceptent le present d’un meschant.

Immunis aram si tetigit manus,
Non somptuosa blandior hostia
Mollivit aversos Penates,
Farre pio et saliente mica.


Chapitre 57 :
De l’Aage



IE ne puis recevoir la façon dequoy nous establissons la durée de nostre vie. Je voy que les sages l’acoursissent bien fort au pris de la commune opinion. Comment, dict le jeune Caton à ceux qui le vouloyent empescher de se tuer, suis je à cette heure en aage où l’on me puisse reprocher d’abandonner trop tost la vie ? Si n’avoit il que quarante et huict ans. Il estimoit cet aage là bien meur et bien avancé,