Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/104

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parfournit et se parfaict apres nostre creance. Je sçay un homme d’authorité nourry aux lettres, qui m’a confessé avoir esté ramené des erreurs de la mescreance par l’entremise des argumens de Sebonde. Et quand on les despouïllera de cet ornement, et du secours et approbation de la foy, et qu’on les prendra pour fantasies pures humaines, pour en combatre ceux qui sont precipitez aux espouvantables et horribles tenebres de l’irreligion, ils se trouveront encores lors, aussi solides et autant fermes, que nuls autres de mesme condition qu’on leur puisse opposer. De façon que nous serons sur les termes de dire à nos parties,

Si melius quid habes, accerse, vel imperium fer.

Qu’ils souffrent la force de nos preuves, ou qu’ils nous en facent voir ailleurs, et sur quelque autre subject, de mieux tissuës, et mieux estoffées.

Je me suis sans y penser à demy desja engagé dans la seconde objection, à laquelle j’avois proposé de respondre pour Sebonde.

Aucuns disent que ses argumens sont foibles et ineptes à verifier ce qu’il veut, et entreprennent de les choquer aysément. Il faut secouër ceux cy un peu plus rudement : car ils sont plus dangereux et plus malitieux que les premiers. On couche volontiers les dicts d’autruy à la faveur des opinions qu’on a prejugées en soy : A un atheïste tous escrits tirent à l’theïsme. Il infecte de son propre venin la matiere innocente. Ceux cy ont quelque preoccupation de jugement qui leur rend le goust fade aux raisons de Sebonde. Au demeurant il leur semble qu’on leur donne beau jeu, de les mettre en liberté de combattre nostre religion par les armes pures humaines, laquelle ils n’oseroyent attaquer en sa majesté pleine d’authorité et de commandement. Le moyen que je prens pour rabatre ceste frenesie, et qui me semble le plus propre, c’est de froisser et fouler aux pieds l’orgueil, et l’humaine fierté : leur faire sentir l’inanité, la vanité, et deneantise de l’homme : leur arracher