Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/114

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et ne les employe aucunement à ses autres services) Quand les taureaux vont au combat, ils respandent et jettent la poussiere à l’entour d’eux : les sangliers affinent leurs deffences : et l’ichneumon, quand il doit venir aux prises avec le crocodile, munit son corps, l’enduit et le crouste tout à l’entour, de limon bien serré et bien paistry, comme d’une cuirasse. Pourquoy ne dirons nous qu’il est aussi naturel de nous armer de bois et de fer ?

Quant au parler, il est certain, que s’il n’est pas naturel, il n’est pas necessaire. Toutesfois je croy qu’un enfant, qu’on auroit nourry eu pleine solitude, esloigné de tout commerce (qui seroit un essay malaisé à faire) auroit quelque espece de parolle pour exprimer ses conceptions : et n’est pas croyable, que nature nous ait refusé ce moyen qu’elle a donné à plusieurs autres animaux : Car qu’est-ce autre chose que parler, ceste faculté, que nous leur voyons de se plaindre, de se resjouyr, de s’entr’appeller au secours, se convier à l’amour, comme ils font par l’usage de leur voix ? Comment ne parleroient elles entr’elles ? elles parlent bien à nous, et nous à elles. En combien de sortes parlons nous à nos chiens, et ils nous respondent ? D’autre langage, d’autres appellations, devisons nous avec eux, qu’avec les oyseaux, avec les pourceaux, les beufs, les chevaux : et changeons d’idiome selon l’espece.

Cosi per entro loro schiera bruna
S’ammusa l’una con l’altra formica,
Forse à spiar lor via, et lor fortuna.

Il me semble que Lactance attribuë aux bestes, non le parler seulement, mais le rire encore. Et la difference de langage, qui se voit entre nous, selon la difference des contrées, elle se treuve aussi aux animaux de mesme espece. Aristote allegue à ce propos le chant divers des perdrix, selon la situation des lieux :

variæque volucres
Longè alias alio jaciunt in tempore voces,
Et partim mutant cum tempestatibus unà