Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/129

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qu’elles ont de leur faculté divinatrice, et la mettent en usage. Les chasseurs nous asseurent, que pour choisir d’un nombre de petits chiens, celuy qu’on doit conserver pour le meilleur, il ne faut que mettre la mere au propre de le choisir elle méme ; comme si on les emporte hors de leur giste, le premier qu’elle y rapportera, sera tousjours le meilleur : ou bien si on fait semblant d’entourner de feu le giste, de toutes parts, celuy des petits, au secours duquel elle courra premierement. Par où il appert qu’elles ont un usage de prognostique que nous n’avons pas : ou qu’elles ont quelque vertu à juger de leurs petits, autre et plus vive que la nostre.

La maniere de naistre, d’engendrer, nourrir, agir, mouvoir, vivre et mourir des bêtes, estant si voisine de la nostre, tout ce que nous retranchons de leurs causes motrices, et que nous adjoustons à nostre condition au dessus de la leur, cela ne peut aucunement partir du discours de nostre raison. Pour reglement de nostre santé, les medecins nous proposent l’exemple du vivre des bêtes, et leur façon : car ce mot est de tout temps en la bouche du peuple :

Tenez chaults les pieds et la teste,
Au demeurant vivez en bête.

La generation est la principale des actions naturelles : nous avons quelque disposition de membres, qui nous est plus propre à cela : toutesfois ils nous ordonnent de nous ranger à l’assiette et disposition brutale, comme plus effectuelle :

more ferarum,
Quadrupedúmque magis ritu, plerumque putantur
Concipere uxores : quia sic loca sumere possunt,
Pectoribus positis, sublatis semina lumbis.