Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/140

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un petit poisson semblable au goujon de mer, qui s’appelle pour cela la guide : la baleine le suit, se laissant mener et tourner aussi facilement, que le timon fait retourner la navire : et en recompense aussi, au lieu que toute autre chose, soit beste ou vaisseau, qui entre dans l’horrible chaos de la bouche de ce monstre, est incontinent perdu et englouty, ce petit poisson s’y retire en toute seureté, et y dort, et pendant son sommeil la baleine ne bouge : mais aussi tost qu’il sort, elle se met à le suyvre sans cesse : et si de fortune elle l’escarte, elle va errant çà et là, et souvent se froissant contre les rochers, comme un vaisseau qui n’a point de gouvernail : Ce que Plutarque tesmoigne avoir veu en l’Isle d’Anticyre.

Il y a une pareille societé entre le petit oyseau qu’on nomme le roytelet, et le crocodile : le roytelet sert de sentinelle à ce grand animal : et si l’Ichneumon son ennemy s’approche pour le combattre, ce petit oyseau, de peur qu’il ne le surprenne endormy, va de son chant et à coup de bec l’esveillant, et l’advertissant de son danger. Il vit des demeurans de ce monstre, qui le reçoit familierement en sa bouche, et luy permet de becqueter dans ses machoueres, et entre ses dents, et y recueillir les morceaux de chair qui y sont demeurez : et s’il veut fermer la bouche, il l’advertit premierement d’en sortir en la serrant peu à peu sans l’estreindre et l’offenser.

Ceste coquille qu’on nomme la Nacre, vit aussi ainsin avec le Pinnothere, qui est un petit animal de la sorte d’un cancre, luy servant d’huissier et de portier assis à l’ouverture de cette coquille, qu’il tient continuellement entrebaaillee et ouverte, jusques à ce qu’il y voye entrer quelque petit poisson propre à leur prise : car lors il entre dans la nacre, et luy va pinsant la chair vive, et la contraint de fermer sa coquille : lors eux deux ensemble mangent la proye enfermee dans leur fort.

En la maniere de vivre des tuns, on y remarque une singuliere science de trois parties de la Mathematique.