Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/146

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j’imagine l’homme tout nud (ouy en ce sexe qui semble avoir plus de part à la beauté) ses tares, sa subjection naturelle, et ses imperfections, je trouve que nous avons eu plus de raison que nul autre animal, de nous couvrir. Nous avons esté excusables d’emprunter ceux que nature avoit favorisé en cela plus que nous, pour nous parer de leur beauté, et nous cacher soubs leur despouille, de laine, plume, poil, soye.

Remerquons au demeurant, que nous sommes le seul animal, duquel le defaut offense nos propres compagnons, et seuls qui avons à nous desrober en nos actions naturelles, de nostre espece. Vrayement c’est aussi un effect digne de consideration, que les maistres du mestier ordonnent pour remede aux passions amoureuses, l’entiere veuë et libre du corps qu’on recherche : que pour refroidir l’amitié, il ne faille que voir librement ce qu’on ayme.

Ille quod obscoenas in aperto corpore partes
Viderat, in cursu qui fuit, hæsit amor.

Et encore que cette recepte puisse à l’aventure partir d’une humeur un peu delicate et refroidie : si est-ce un merveilleux signe de nostre defaillance, que l’usage et la cognoissance nous dégoute les uns des autres. Ce n’est pas tant pudeur, qu’art et prudence, qui rend nos dames si circonspectes, à nous refuser l’entrée de leurs cabinets, avant qu’elles soyent peintes et parées pour la montre publique.

Nec veneres nostras hoc fallit, quo magis ipsæ
Omnia summopere hos vitæ post scenia celant,
Quos retinere volunt adstrictóque esse in amore.

La où en plusieurs animaux, il n’est rien d’eux que nous n’aimions, et qui ne plaise à nos sens : de façon que de leurs