Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/207

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Mais je ne veux oublier l’objection que font les Epicuriens à ceste transmigration de corps en autre. Elle est plaisante : Ils demandent quel ordre il y auroit, si la presse des mourans venoit à estre plus grande que des naissans. Car les ames deslogées de leur giste seroyent à se fouler à qui prendroit place la premiere dans ce nouvel estuy. Et demandent aussi, à quoy elles passeroient leur temps, ce pendant qu’elles attendroient qu’un logis leur fust appresté : ou au rebours s’il naissoit plus d’animaux, qu’il n’en mourroit, ils disent que les corps seroient en mauvais party, attendant l’infusion de leur ame, et en adviendroit qu’aucuns d’iceux se mourroient avant que d’avoir esté vivans.

Denique connubia ad veneris, partúsque ferarum,
Esse animas præsto deridiculum esse videtur,
Et spectare immortales mortalia membra
Innumero numero, certaréque præproperanter
Inter se, quæ prima potissimáque insinuetur.

D’autres ont arresté l’ame au corps des trespassez, pour en animer les serpents, les vers, et autres bestes, qu’on dit s’engendrer de la corruption de nos membres, voire et de nos cendres : D’autres la divisent en une partie mortelle, et l’autre immortelle : Autres la font corporelle, et ce neantmoins immortelle : Aucuns la font immortelle, sans science et sans cognoissance. Il y en a aussi des nostres mesmes qui ont estimé, que des ames des condamnez, il s’en faisoit des diables : comme Plutarque pense, qu’il se face des dieux de celles qui sont sauvées : Car il est peu de choses que cet autheur là establisse d’une façon de parler si resolue, qu’il fait ceste-cy : maintenant par tout ailleurs une maniere dubitatrice et ambigue. Il faut estimer (dit-il) et croire fermement, que les ames des hommes vertueux selon nature et selon justice divine, deviennent d’hommes saincts, et de saincts