Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/273

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reputation commune, si ce n’est pour éviter les autres incommoditez accidentales que le mespris des hommes luy pourroit apporter. Ces discours là sont infiniment vrais, à mon advis, et raisonnables. Mais nous sommes, je ne sçay comment, doubles en nous mesmes, qui faict que ce que nous croyons, nous ne le croyons pas, et ne nous pouvons deffaire de ce que nous condamnons. Voyons les dernieres paroles d’Epicurus, et qu’il dict en mourant : elles sont grandes et dignes d’un tel philosophe, mais si ont elles quelque marque de la recommendation de son nom, et de cette humeur qu’il avoit décriée par ses preceptes. Voicy une lettre qu’il dicta un peu avant son dernier soupir :

Epicurus a Hermachus, salut.

Ce pendant que je passois l’heureux et celuy-là mesmes le dernier jour de ma vie, j’escrivois cecy, accompaigné toute-fois de telle douleur en la vessie et aux intestins, qu’il ne peut rien estre adjousté à sa grandeur. Mais elle estoit compensée par le plaisir qu’apportoit à mon ame la souvenance de mes inventions et de mes discours. Or toy, comme requiert l’affection que tu as eu des ton enfance envers moy et la philosophie, embrasse la protection des enfans de Metrodorus. Voilà sa lettre. Et ce qui me faict interpreter que ce plaisir qu’il dit sentir en son ame, de ses inventions, regarde aucunement la reputation qu’il en esperoit acquerir apres sa mort, c’est l’ordonnance de son testament, par lequel il veut que Aminomachus et Thimocrates, ses heritiers, fournissent, pour la celebration de son jour natal, tous les mois de janvier, les frais que Hermachus ordonneroit, et aussi pour la despence qui se feroit, le vingtiesme jour de chasque lune, au traitement des philosophes ses familiers, qui s’assembleroient à l’honneur de la memoire de luy et de Metrodorus. Carneades a esté chef de l’opinion contraire, et a maintenu que la gloire estoit pour