Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/317

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nostre creance. Ils ont aussi eu cecy, de prester aisément des louanges fauces à tous les Empereurs qui faisoient pour nous, et condamner universellement toutes les actions de ceux qui nous estoient adversaires, comme il est aisé à voir en l’Empereur Julian, surnommé l’Apostat. C’estoit, à la vérité, un tres-grand homme et rare, comme celuy qui avoit son ame vivement tainte des discours de la philosophie, ausquels il faisoit profession de regler toutes ses actions ; et, de vray, il n’est aucune sorte de vertu dequoy il n’ait laissé de tres-notables exemples. En chasteté (de laquelle le cours de sa vie donne bien cler tesmoignage), on lit de luy un pareil trait à celuy d’Alexandre et de Scipion, que de plusieurs tres-belles captives, il n’en voulut pas seulement voir une, estant en la fleur de son aage : car il fut tué par les Parthes aagé de trente un an seulement. Quant à la justice, il prenoit luy-mesme la peine d’ouyr les parties ; et encore que par curiosité il s’informast à ceux qui se presentoient à luy de quelle religion ils estoient, toutesfois l’inimitié qu’il portoit à la nostre ne donnoit aucun contrepoix à la balance. Il fit luy mesme plusieurs bonnes loix, et retrancha une grande partie des subsides et impositions que levoient ses predecesseurs. Nous avons deux bons historiens tesmoings oculaires de ses actions : l’un desquels, Marcellinus, reprend aigrement en divers lieux de son histoire cette sienne ordonnance par laquelle il deffendit l’escole et interdit l’enseigner à tous les Rhetoriciens et Grammairiens Chrestiens, et dit qu’il souhaiteroit cette sienne action estre ensevelie soubs le silence. Il est vray-semblable, s’il eust fait quelque chose de plus aigre contre nous, qu’il ne l’eut pas oublié, estant bien affectionné à nostre party. Il nous estoit aspre, à la verité, mais non pourtant cruel ennemy : car nos gens mesmes recitent de luy cette histoire, que se promenant un jour autour de la ville de Chalcedoine, Maris, Evesque du