Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/344

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avec telle perseverance et constance que d’en establir son train ordinaire, certes, en ces entreprinses si esloignées de l’usage commun, il est quasi incroyable qu’on le puisse. Voylà pourquoy luy, estant quelque fois rencontré en sa maison tansant bien asprement avecques sa seur, et estant reproché de faillir en cella à son indifferance : Comment, dit-il, faut-il qu’encore cette fammelette serve de tesmoignage à mes regles ? Un’autre fois qu’on le veit se deffendre d’un chien : Il est, dit-il, tres-difficile de despouiller entierement l’homme ; et se faut mettre en devoir et efforcer de combattre les choses, premierement par les effects, mais, au pis aller, par la raison et par les discours. Il y a environ sept ou huict ans, qu’à deux lieues d’icy un homme de village, qui est encore vivant, ayant la teste de long temps rompue par la jalousie de sa femme, revenant un jour de la besoigne, et elle le bienveignant de ses criailleries accoustumées, entra en telle furie que, sur le champ, à tout la serpe qu’il tenoit encore en ses mains, s’estant moissonné tout net les pieces qui la mettoyent en fievre, les luy jetta au nez. Et il se dit qu’un jeune gentil’homme des nostres, amoureux et gaillard, ayant par sa perseverance amolli en fin le cœur d’une belle maistresse, desesperé de ce que, sur le point de la charge, il s’estoit trouvé mol luy mesmes et deffailly, et que

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s’en priva soudain revenu au logis, et l’envoya, cruelle et sanglante victime, pour la purgation de son offence. Si c’eust esté par discours et religion, comme les prestres de Cibele, que ne dirions nous d’une si hautaine entreprise ? Dépuis peu de jours, à Bragerac, à cinq lieues de ma maison, contremont la riviere de Dordoigne, une femme, ayant esté tourmentée et batue, le soir avant, de son mary, chagrain et facheux de