Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/384

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l’avoir curieusement consideré, elle trouva qu’il estoit impossible qu’il en peut guerir, et que tout ce qu’il avoit à attandre, c’estoit de trainer fort long temps une vie doloureuse et languissante : si luy conseilla, pour le plus seur et souverain remede, de se tuer ; et le trouvant un peu mol à une si rude entreprise : Ne pense point, luy dit elle, mon amy, que les douleurs que je te voy souffrir, ne me touchent autant qu’à toy, et que, pour m’en delivrer, je ne me veuille servir moy-mesme de cette medecine que je t’ordonne. Je te veux accompaigner à la guerison comme j’ay fait à la maladie : oste cette crainte, et pense que nous n’aurons que plaisir en ce passage qui nous doit delivrer de tels tourmens : nous nous en irons heureusement ensemble. Cela dit, et ayant rechauffé le courage de son mary, elle resolut qu’ils se precipiteroient en la mer par une fenestre de leur logis qui y respondoit. Et pour maintenir jusques à sa fin cette loyale et vehemente affection dequoy elle l’avoit embrassé pendant sa vie, elle voulut encore qu’il mourust entre ses bras ; mais, de peur qu’ils ne luy faillissent et que les estraintes de ses enlassemens ne vinssent à se relascher par la cheute et la crainte, elle se fit lier et attacher bien estroittement avec luy par le faux du corps, et abandonna ainsi sa vie pour le repos de celle de son mary. Celle-là estoit de bas lieu ; et parmy telle condition de gens il n’est pas si nouveau d’y voir quelque traict de rare bonté,

extrema per illos
Justitia excedens terris vestigia fecit.

Les autres deux sont nobles et riches, où les exemples de vertu se logent rarement. Arria, femme de Cecinna Paetus, personnage consulaire, fut mere d’un’autre Arria, femme de Thrasea Paetus, celuy duquel la vertu fut tant renommée du temps de Neron, et, par le moyen de ce gendre, mere-grand de Fannia, car la ressemblance des noms de ces hommes et