Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/420

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chasque contrée ; ou, pour mieux dire, il n’y a quasi aucune ressemblance des unes aux autres. Voilà comment cette partie de medecine à laquelle seule je me suis laissé aller, quoy qu’elle soit la moins artificielle, si a elle sa bonne part de la confusion et incertitude qui se voit par tout ailleurs en cet art. Les poetes disent tout ce qu’ils veulent avec plus d’emphase et de grace, tesmoing ces deux epigrammes :

Alcon hesterno signum Jovis attigit. Ille,
Quamvis marmoreus, vim patitur medici.
Ecce hodie, jussus transferri ex aede vetusta,
Effertur, quamvis sit Deus atque lapis.

Et l’autre :

Lotus nobiscum est hilaris, coenavit et idem,
Inventus mane est mortuus Andragoras.
Tam subitae mortis causam, Faustine, requiris ?
In somnis medicum viderat Hermocratem.

Sur quoy je veux faire deux contes. Le Baron de Caupene en Chalosse et moy avons en commun le droict de patronage d’un benefice qui est de grande estendue, au pied de nos montaignes, qui se nomme Lahontan. Il est des habitans de ce coin, ce qu’on dit de ceux de la valée d’Angrougne : ils avoient une vie à part, les façons, les vestemens et les meurs à part ; regis et gouvernez par certaines polices et coustumes particulieres, receues de pere en fils, ausquelles ils s’obligeoient sans autre contrainte que de la reverence de leur usage. Ce petit estat s’estoit continué de toute ancienneté en une condition si heureuse que aucun juge voisin n’avoit esté en peine de s’informer de leur affaire, aucun advocat employé à leur donner advis, ny estranger appellé pour esteindre leurs querelles, et n’avoit on jamais veu aucun de ce destroict à l’aumosne. Ils fuyoient les alliances et le commerce de l’autre monde, pour n’alterer la pureté de leur police : jusques à ce, comme ils recitent, que l’un d’entre eux, de la memoire de leurs peres,