Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/426

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tant d’aages, en la vieillesse ; tant de mutations celestes, en la conjonction de Venus et de Saturne ; tant de parties du corps, au doigt : à tout cela n’estant guidé ny d’argument, ny de conjecture, ny d’exemple, ny d’inspiration divine, ains du seul mouvement de la fortune, il faudroit que ce fut par une fortune parfectement artificielle, reglée et methodique. Et puis, quand la guerison fut faicte, comment se peut il asseurer que ce ne fut que le mal fut arrivé à sa periode, ou un effect du hazard, ou l’operation de quelque autre chose qu’il eust ou mangé, ou beu, ou touché ce jour là, ou le mérite des prieres de sa mere grand ? Davantage, quand cette preuve auroit esté parfaicte, combien de fois fut elle reiterée ? et cette longue cordée de fortunes et de r’encontres, r’enfilée, pour en conclurre une regle ? Quand elle sera conclue, par qui est-ce ? De tant de millions il n’y a que trois hommes qui se meslent d’enregistrer leurs experiences. Le sort aura il r’encontré à point nommé l’un de ceux cy ? Quoy, si un autre et si cent autres ont faict des experiences contraires ? A l’avanture, verrions nous quelque lumiere, si tous les jugements et raisonnements des hommes nous estoyent cogneuz. Mais que trois tesmoins et trois docteurs regentent l’humain genre, ce n’est pas là raison : il faudroit que l’humaine nature les eust deputez et choisis, et qu’ils fussent declarez nos syndics par expresse procuration.


A Madame de Duras


Madame, vous me trouvates sur ce pas dernierement que vous me vintes voir. Par ce qu’il pourra estre que ces inepties se rencontreront quelque fois entre vos mains, je veux aussi qu’elles portent tesmoignage que l’autheur se sent bien fort honoré de la faveur que vous leur ferez. Vous y reconnoistrez ce mesme port et ce mesme air que vous avez veu en sa conversation. Quand j’eusse peu prendre quelque autre façon que la