Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/67

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dignes qu’on s’y amuse. Quant aux Amadis, et telles sortes d’escrits, ils n’ont pas eu le credit d’arrester seulement mon enfance. Je diray encore cecy, ou hardiment, ou temerairement, que ceste vieille ame poisante, ne se laisse plus chatouiller, non seulement à l’Arioste, mais encores au bon Ovide : sa facilité, et ses inventions, qui m’ont ravy autresfois, à peine m’entretiennent elles à ceste heure.

Je dy librement mon advis de toutes choses, voire et de celles qui surpassent à l’adventure ma suffisance, et que je ne tiens aucunement estre de ma jurisdiction. Ce que j’en opine, c’est aussi pour declarer la mesure de ma veuë, non la mesure des choses. Quand je me trouve dégousté de l’Axioche de Platon, comme d’un ouvrage sans force, eu esgard à un tel autheur, mon jugement ne s’en croit pas : Il n’est pas si outrecuidé de s’opposer à l’authorité de tant d’autres fameux jugemens anciens : qu’il tient ses regens et ses maistres : et avecq lesquels il est plustost content de faillir : Il s’en prend à soy, et se condamne, ou de s’arrester à l’escorce, ne pouvant penetrer jusques au fonds : ou de regarder la chose par quelque faux lustre : Il se contente de se garentir seulement du trouble et du desreiglement : quant à sa foiblesse, il la reconnoist, et advoüe volontiers. Il pense donner juste interpretation aux apparences, que sa conception luy presente : mais elles sont imbecilles et imparfaictes. La plus part des fables d’Esope ont plusieurs sens et intelligences : ceux qui les mythologisent, en choisissent quelque visage, qui quadre bien à la fable : mais pour la pluspart, ce n’est que le premier visage et superficiel : il y en a d’autres plus vifs, plus essentiels et internes, ausquels ils n’ont sçeu penetrer : voyla comme j’en fay.

Mais pour suyvre ma route : il m’a tousjours semblé, qu’en la poësie, Virgile, Lucrece, Catulle, et Horace, tiennent de bien loing le premier rang : et signamment Virgile en ses Georgiques, que j’estime le plus