Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 3.djvu/282

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vomir jusques au sang, souffrir des contractions et convulsions estranges, degouter par foys de grosses larmes des yeux, rendre les urines espesses, noires, et effroyables, ou les avoir arrestées par quelque pierre espineuse et herissée qui te pouinct et escorche cruellement le col de la verge, entretenant cependant les assistans d’une contenance commune, bouffonnant à pauses avec tes gens, tenant ta partie en un discours tendu, excusant de parolle ta douleur et rabatant de ta souffrance. Te souvient il de ces gens du temps passé, qui recerchoyent les maux avec si grand faim, pour tenir leur vertu en haleine et en exercice ? Mets le cas que nature te porte et te pousse à cette glorieuse escole, en laquelle tu ne fusses jamais entré de ton gré. Si tu me dis que c’est un mal dangereux et mortel, quels autres ne le sont ? Car c’est une piperie medecinale d’en excepter aucuns, qu’ils disent n’aller point de droict fil à la mort. Qu’importe, s’ils y vont par accident, et s’ils glissent et gauchissent ayséement vers la voye qui nous y meine ? Mais tu ne meurs pas de ce que tu es malade ; tu meurs de ce que tu es vivant. La mort te tue bien sans le secours de la maladie. Et à d’aucuns les maladies ont esloigné la mort, qui ont plus vescu de ce qu’il leur sembloit s’en aller mourants. Joint qu’il est, comme des playes, aussi des maladies medecinales et salutaires. La cholique est souvent non moins vivace que vous ; il se voit des hommes ausquels elle a continué depuis leur enfance jusques à leur extreme vieillesse, et, s’ils ne luy eussent failly de compaignie, elle estoit pour les assister plus outre ; vous la tuez plus souvent qu’elle ne vous tue, et quand elle te presenteroit l’image de la mort voisine, seroit ce pas un bon office à un homme de tel aage de le ramener aux cogitations de sa fin ? Et qui pis est, tu n’as plus pour qui guerir. Ainsi comme ainsin, au premier jour la commune necessité t’appelle. Considere combien artificielement et doucement elle te desgouste de la vie et desprend du monde : non te forçant d’une subjection tyrannique, comme tant d’autres maux que tu vois aux vieillarts, qui les tiennent continuellement entravez et sans relache de foyblesses et douleurs, mais par advertissemens et instructions reprises à intervalles, entremeslant des longues pauses de repos, comme pour te donner moyen de mediter et repeter sa leçon à ton ayse ; pour te donner moyen de juger sainement