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PREFACE.

après ses discours couppez, extravagans, & sans obligation de traicter un poinct tout entier, & je sens bien qu’on me va mettre de son escot en cette fricassée de resveries diverses. Surquoy je les prie de faire une liste à leur gré d’autant d’autres subjetz qu’il en comprend, pour dire sur chacun non peu, suivant l’exemple des Essais, mais un seul mot, pourveu que ce soit tousjours le mieux qui s’y puisse dire, ainsi que mon Pere a faict ; & lors je leur prometz que non seulement je leur pardonneray, mais que j’ay recouvré maistre en eux, comme cet ancien en Socrates. Ceux qui pretendent calomnier sa religion, pour avoir si meritoirement inscript un heretique au rolle des excellens poetes de ce temps, ou sur quelque autre punctille de pareil air, monstrent assez qu’ilz cherchent à trouver des compagnons en la desbauche de la leur. C’est à moy d’en parler : car moy seulle avois la parfaicte cognoissance de cette grande ame, & c’est à moy d’en estre creue de bonne foy, quand ce livre ne l’esclairciroit pas : comme ayant quitté tant de magnifiques, pompeuses, & plausibles vertus, dont le monde se brave affin d’enchoir au reproche de niaiserie que me font mes compagnes, pour n’avoir rien en partage que l’innocence, & la sincerité. Je dis doncq avec verité certaine, que tout ainsi que jamais homme ne voulut plus de mal aux nulles & faulces religions, que luy, de mesme il n’en fut oncques un plus ennemy de tout ce qui blessoit le respect de la vraye ; & la touche de celle cy c’estoit, & pour luy, comme les Essais declarent, & pour moy sa creature, la saincte loy des peres. Qui pourroit aussi supporter ces Titans escheleurs de Ciel, qui pensent arriver à Dieu par leurs moyens, & circonscrire ses œuvres aux limites de leur raison ? Nous disons, au lieu, que là mesme, où toutes choses sont plus incroyables, là sont plus certainement les faictz de Dieu : & que Dieu n’est çà, ne là, s’il n’y a miracle. Icy principalement le faut-il escouter d’aguet, & se garder de broncher sur cette libre, & brusque façon de s’exprimer nonchallante, & parfois, ce semble, lesignante d’attiser un calomniateur ; affin que puis qu’estant des-ja meschant, il nous est justement odieux, il se declare encore un sot pour son interpretation cornuë, dont nous ayons le plaisir de le voir diffamé de deux vices. M’amuseray-je à particulariser quelques regles pour se gouverner en cette lecture ? suffit de dire en un mot, Ne t’en mesle pas, ou sois sage. Je rendz graces à Dieu que parmy la confusion de tant de creances effrénées, qui traversent & tempestent son Eglise, il luy ait pleu de l’estaier d’un si ferme, & si puissant pillier : Ayant besoin de fortifier la foy des simples contre telz assaultz, il a pensé ne le pouvoir mieux faire qu’en produisant une ame qui n’eust eu semblable depuis quatorze, ou quinze cens ans, pour la verifier de son approbation. Si la religion Catholique à la naissance de cet enfant, eust sçeu combien grand il devoit estre un jour, quelle apprehension eust esté la sienne de l’avoir pour adversaire, quelz vœux n’eust elle offertz affin de l’avoir pour suffragant ? Il s’agissoit à bon escient de ses affaires, alors que Dieu deliberoit s’il donneroit un si digne present à un siècle si indigne, ou si sa bonté l’appelleroit à l’amendement par un si noble exemple. Personne n’eust pensé qu’il y eust eu faute aux nouvelles religions, si le grand Montaigne les eust admises, ou nul de ceux mesmes à qui la faute eust esté congnuë, n’eust eu honte de la commettre apres luy. Certes il a rendu vraye sa proposition, que des tres-grandes & des tres-simples ames se faisoyent les bien croyans, comme aussi la mienne, que de ces deux extremitez se faisoyent les gens de bien. Je tiens le party de ceux qui jugent que le vice procede de sottise &, consequemment, que plus on approche de la suffisance, plus on s’eslongne de luy.