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ESSAIS DE MONTAIGNE

licences de l’art, aussi n’est-il supportable qu’aux grandes âmes et illustres de se privilégier au-dessus de la coutume. On lui apprendra de n’entrer en discours et contestation que là où il verra un champion digne de sa lutte ; et, là même, à n’employer pas tous les tours qui lui peuvent servir, mais ceux-là seulement qui lui pouvait le plus servir. Qu’on le rende délicat au choix et triage de ses raisons, aimant la pertinence et par conséquent la brièveté. Qu’on l’instruise surtout à se rendre et à quitter les armes à la vérité tout aussitôt qu’il l’apercevra, soit qu’elle naisse ès-mains de son adversaire, soit qu’elle naisse en lui-même par quelque ravisement : car il ne sera pas mis en chaire pour dire un rôle prescrit ; il n’est engagé à aucune cause que parce qu’il l’approuve.

Si son gouverneur tient de mon humeur, il lui formera la volonté à être très-loyal serviteur de son prince et très–affectionné, et très-courageux ; mais il lui refroidira l’envie de s’y attacher autrement que par un devoir public. Outre plusieurs autres inconvénients qui blessent notre liberté par ces obligations particulières, le jugement d’un homme gagé et acheté, ou il est moins entier et moins libre, bu il est taché et d’imprudence et d’ingratitude. Un pur courtisan ne peut avoir ni loi ni volonté de dire et penser que favorablement d’un maître qui, parmi tant de milliers d’autres sujets, l’a choisi pour le nourrir et élever de sa main : cette faveur et utilité corrompent, non sans quelque raison, sa franchise, et l’éblouissent : pourtant voit-on coutumièrement le langage de ces gens-là divers à tout autre langage en un état, et de peu de foi en telle matière.

Que sa conscience et sa vertu reluisent en son parler,