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CHAPITRE XV.

s’en forge une autre toute sienne, non plus flottante et roulante. Elle sait être riche, et puissante, et savante, et coucher en des matelas musqués ; elle aime la vie, elle aime la beauté, et la gloire, et la santé ; mais son office propre et particulier, c’est savoir user de ces biens là réglément, et les savoir perdre constamment ; office bien plus noble qu’âpre, sans lequel tout cours de vie est dénaturé, turbulent et difforme, et y peut-on justement attacher ces écueils, ces halliers et ces monstres.

Si ce disciple se rencontre de si diverse condition qu’il aime mieux ouïr une fable que la narration d’un beau voyage ou un sage propos, quand il l’entendra ; qui, au son du tambourin qui arme la jeune ardeur de ses compagnons, se détourne à un autre qui l’appelle au jeu des bateleurs ; qui, par souhait, ne trouve plus plaisant et plus doux revenir poudreux et victorieux d’un combat, que de la paume ou du bal, avec le prix de cet exercice ; je n’y trouve autre remède, sinon qu’on le mette pâtissier dans quelque bonne ville, fût-il fils d’un duc, suivant le précepte de Platon : « Qu’il faut colloquer les enfants, non selon les facultés de leur père, mais selon les facultés de leur âme. »

Puisque la philosophie est celle qui nous instruit à vivre, et que l’enfance y a leçon comme les autres âges, pourquoi ne la lui communique-t on ? Cicéron disait que, quand il vivrait la vie de deux hommes, il ne prendrait pas le loisir d’étudier les poètes lyriques ; et je trouve ces ergotistes plus tristement encore inutiles. Notre enfant est bien plus pressé ; il ne doit au pédagogisme que les premiers quinze ou seize ans de sa vie ; le demeurant est dû à l’action. Employons un temps si court aux ins-