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CHAPITRE XV.

convier les enfants aux lettres, on ne leur présente, à la vérité, qu’horreur et cruauté. Otez-moi la violence et la force ; il n’est rien, à mon avis, qui abâtardisse et étourdisse si fort une nature bien née. Si vous avez envie qu’il craigne la honte et le châtiment, ne l’y endurcissez pas ; endurcissez-le à la sueur et au froid, au vent, au soleil, aux hasards qu’il lui fant mépriser ; ôtez-lui toute mollesse et délicatesse au vêtir et au coucher, au manger et au boire ; accoutumez-le à tout ; que ce ne soit pas un beau garçon et dameret, mais un garçon vert et vigoureux. Enfant, homme, vieux, j’ai toujours cru et jugé de même. Mais, entre autres choses, cette police de la plupart de nos colléges m’a toujours déplu ; on eût failli, à l’aventure, moins dommageablement, s’inclinant vers l’indulgence. C’est une vraie geôle de jeunesse captive. Arrivez-y sur le point de leur office[1] ; vous n’oyez que cris, et d’enfants suppliciés, et de maîtres enivrés en leur colère. Quelle manière pour éveiller l’appétit envers leur leçon, à ces tendres âmes et craintives, de les y guider d’une trogne effroyable, les mains armées de fouets ! Inique et pernicieuse forme ! joint ce que Quintilien en a très-bien remarqué, que cette impérieuse autorité tire des suites périlleuses, et nommément à notre façon de châtiment. Combien leurs classes seraient plus décemment jonchées de fleurs et de feuillées, que de tronçons d’osier sanglants ! Où est leur profit, que là fût aussi leur ébat : on doit ensucrer les viandes salubres à l’enfant, et enfieller celles qui lui sont nuisibles. C’est merveille combien Platon se montre soigneux, en

  1. De leur devoir, pendant leurs études ou leçons.