Page:Montaigne - Essais, Musart, 1847.djvu/244

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
238
ESSAIS DE MONTAIGNE

toutefois, à la vérité, plus contre nature de taire dépendre les mères de la discrétion de leurs enfants. On leur doit donner largement de quoi maintenir leur état, selon la condition de leur maison et de leur âge ; d’autant que la nécessité et l’indigence est beaucoup plus malséante et malaisée à supporter à elles qu’aux mâles : il faut plutôt en charger les enfants que la mère.

En général, la plus saine distribution de nos biens, en mourant, me semble être les laisser distribuer à l’usage du pays : les lois y ont mieux pensé que nous ; et vaut mieux les laisser faillir en leur élection que de nous hasarder témérairement de faillir en la nôtre. Ils ne sont pas proprement nôtres, puisque d’une prescription civile, et sans nous, ils sont destinés à certains successeurs. Et encore que nous ayons quelque liberté au-delà, je tiens qu’il faut une grande cause, et bien apparente, pour nous faire ôter à un ce que sa fortune lui avait acquis et à quoi la justice commune l’appelait ; et que c’est abuser, contre raison, de cette liberté d’en servir nos fantaisies frivoles et privées. Mon sort m’a fait grâce de ne m’avoir présenté des occasions qui me pussent tenter et divertir mon affection de la commune et légitime ordonnance.

J’en vois envers qui c’est temps perdu d’employer un long soin de bons offices : un mot reçu de mauvais biais efface le mérite de dix ans. Heureux qui se trouve à point pour leur oindre la volonté sur ce dernier passage ! La voisine action l’emporte : non pas les meilleurs et plus fréquents offices, mais les plus récents et présents font l’opération. Ce sont gens qui se jouent de leurs testaments comme de pommes ou de verges, à gratifier ou châtier chaque action de ceux qui y prétendent intérêt. C’est