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CHAPITRE XXX.

c’est la plus digne production de la vérité. Pourtant eut raison notre bon saint Louis, quand ce roi tartare qui s’était fait chrétien desseignait de venir à Lyon baiser les pieds au Pape et y reconnaître la sanctimonie qu’il espérait trouver en nos mœurs, de l’en détourner instamment, de peur qu’au contraire notre débordée façon de vivre ne le dégoûtât d’une si sainte créance. Combien que depuis il advint tout diversement à cet autre, lequel étant allé à Rome pour même effet, y voyant la dissolution de ce temps-là, s’établit d’autant plus fort en notre religion, considérant combien elle devait avoir de force et de divinité à maintenir sa dignité et sa splendeur parmi tant de corruption. Si nous avions une seule goutte de foi, nus remuerions les montagnes de leur place, dit la sainte parole : nos actions, qui seraient guidées et accompagnées de la Divinité, ne seraient pas simplement humaines ; elles auraient quelque chose de miraculeux, comme notre croyance.

Si nous croyons Dieu, je ne dis pas par foi, mais d’une simple croyance ; voire (et je le dis à notre grande confusion) si nous le croyions et connaissions, comme une autre histoire, comme l’un de nos compagnons, nous l’aimerions au-dessus de toutes autres choses, pour l’infinie bonté et beauté qui reluit en lui. Au moins marcherait-il en même rang de notre affection que les richesses, les plaisirs, la gloire, et nos amis. Le meilleur de nous ne craint point de l’outrager, comme il craint d’outrager son voisin, son parent, son maître. Est-il si simple entendement, lequel, ayant d’un côté l’objet d’un de nos vicieux plaisirs, et de l’autre, en pareille connaissance et persuasion, l’état d’une gloire immortelle, entrât en