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CHAPITRE XXX.

lui avait attribués le nom de sage, il en fut étonné ; et, se recherchant et secouant partout, n’y trouvait aucun fondement à cette divine sentence : il en savait de justes, tempérants, vaillants, savants comme lui et plus éloquents, et plus beaux, et plus utiles au pays. Enf‍in, il se résolut qu’il n’était distingué des autres et n’était sage que parce qu’il ne se tenait pas tel, et que son dieu estimait bêtise singulière à l’homme l’opinion de sciences et de sagesse, et que sa meilleure doctrine était la doctrine de l’ignorance, et la simplicité sa meilleure sagesse. La sainte parole déclare misérables ceux d’entre nous qui s’estiment : « Bourbe et cendre, leur dit-elle, qu’as- tu à te glorif‍ier ? » Et ailleurs : « Dieu a fait l’homme semblable à l’ombre, » de laquelle qui jugera, quand, par l’éloignement de la lumière, elle sera évanouie. Ce n’est rien que de nous.

Il s’en faut tant que nos forces conçoivent la hauteur divine, que, des ouvrages de notre Créateur, ceux-là portent mieux sa marque et sont mieux siens que nous entendons le moins. C’est aux chrétiens une occasion de croire que, de rencontrer une chose incroyable, elle est d’autant plus selon raison quelle est contre l’humaine raison. Si elle était selon raison, ce ne serait plus miracle ; et si elle était selon quelque exemple, ce ne serait plus chose singulière. Melius scitur Deus, nesciendo[1], dit saint Augustin ; et Platon estime qu’il y ait quelque vice d’impiété à trop curieusement s’enquérir, et de Dieu, et du monde, et des causes premières des choses. Nous disons bien : puissance, vérité, justice ; ce sont paroles

  1. On connaît mieux ce qu’est la Divinité quand on se soumet à l’ignorer. S. Augustin, de Ordine, II, 16.