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CHAPITRE XI.

leur ville ; tout y était en désordre et en fureur, jusqu’à ce que, par oraisons et sacrifices, ils eussent apaisé l’ire des dieux. Ils nomment cela terreurs paniques.


CHAPITRE XII.

qu’il ne faut juger de notre heur qu’après la mort.


Les enfants savent le conte du roi Crésus à ce propos, lequel ayant été pris par Cyrus et condamné à la mort, sur le point de l’exécution il s’écria : « Ô Solon ! Solon ! » Cela rapporté à Cyrus, et s’étant enquis ce que c’était à dire, il lui fit entendre qu’il vérifiait lors à ses dépens l’avertissement qu’autrefois lui avait donné Solon : « Que les hommes, quelque beau visage que fortune leur fasse, ne se peuvent appeler heureux jusqu’à ce qu’on leur ait vu passer le dernier jour de leur vie, » pour l’incertitude et variété des choses humaines, qui, d’un bien léger mouvement, se changent d’un état en autre tout divers. Et pourtant Agésilas, à quelqu’un qui disait heureux le roi de Perse, de ce qu’il était venu fort jeune à un si puissant état : « Oui, mais, dit-il, Priam en tel âge ne fut pas malheureux. » Tantôt, des rois de Macédoine, successeurs de ce grand Alexandre, il s’en fait des menuisiers et greffiers à Rome ; des tyrans de Sicile, des pédants à Corinthe ; d’un conquérant de la moitié du monde et empereur de tant d’armées, il s’en fait un misérable suppliant des bélîtres officiers d’un roi d’Égypte ; tant coûta à ce grand Pompeius la prolongation de cinq ou six mois de vie ! Et du temps de nos pères, ce Ludovic Sforce,