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Page:Montel - Les grands maîtres de la science- Paul Langevin.djvu/4

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Reprenant les idées d’Ampère sur les courants particulaires, il montre que le courant de convection constitué par la circulation de l'électron sur une orbite équivaut à un moment magnétique, et que l’action d'un champ extérieur modifie le mouvement, exactement comme si l'ensemble des électrons de l’atome subissait, une rotation produisant un moment magnétique supplémentaire dirigé en sens inverse du champ : c'est le diamagnétisme, qui apparaît ainsi comme une propriété très générale de la matière et se présente, pour ainsi dire, à l'état pur quand l'édifice électronique possède dans l’atome normal un moment magnétique résultant nul. Si ce moment résultant est différent de zéro, les divers édifices élémentaires (atomes, molécules ou complexes) tendent à s’orienter parallèlement au champ extérieur : c'est le paramagnétisme qui, le plus souvent, masque le diamagnétisme beaucoup plus faible, et varie beaucoup suivant l'état de combinaison de la substance. Cet effet est d’autant plus important que l'agitation thermique qui tend à maintenir les molécules dans une orientation désordonnée, est plus faible, c'est-à-dire la température plus basse ; dans le cas de champs faibles, la théorie prévoit pour le coefficient paramagnétique une variation proportionnelle à la température absolue, confirmant ainsi la loi expérimentale de Curie. Une autre conséquence importante concernant l'abaissement de température lors du rétablissement du désordre d’orientation moléculaire qui résulte de la suppression du champ a reçu récemment une belle application par M. de Haas qui a réussi à atteindre la limite du cinquantième de degré absolu.

De plus, la notion d'orientation moléculaire, jointe à la considération d'un équilibre statistique entre une action directrice et l'agitation thermique antagoniste s'est montrée d'une singulière fécondité : elle intervient dans tous les problèmes où une dissymétrie de l'édifice moléculaire permet à celui-ci d’obéir à une action d'orientation. En particulier, la théorie moderne des diélectriques de M. Debye a représenté la transposition exacte de la théorie du magnétisme, et Paul Langevin a lui-même étendu ce point de vue à l'interprétation des biréfringences électrique et magnétique et prévu, pour ces effets, une variation en fonction de la température que l'expérience a brillamment confirmée.

Parmi ses autres recherches purement théoriques, les plus importantes ont concerné sa contribution A la théorie de la relativité. Il en a tiré certaines conséquences essentielles, notamment en ce qui concerne l'inertie de l'énergie ; il a montré que la variation de masse qui résulte de la variation d’énergie interne d'un système donne la solution du problème fondamental de l'unité de la matière ; la perte d’énergie qui provient de la condensation des atomes d’hydrogène en atomes plus lourds correspond à une variation de masse qui explique de manière tout à fait satisfaisante les écarts entre les masses atomiques des divers éléments et des multiples entiers de celle de l'hydrogène.

A un point de vue plus général encore, on lui doit d’avoir mis en lumière de façon saisissante la nécessité de faire rentrer dans la Physique la Mécanique trop longtemps considérée comme une science rationnelle aux notions intangibles ; il a montré comment, en plaçant la base de celle-ci les principes même de la Physique, principe de conservation de l'énergie et principe de relativité, on obtient soit la dynamique de Newton, soit la dynamique d’Einstein, suivant qu'on leur associe la cinématique du temps absolu ou celle du temps relatif.

Poursuivant dans ce sens la critique des notions, il a encore insisté récemment, à propos des difficultés rencontrées en Physique dans le domaine intra-atomique, sur la nécessité de libérer l'esprit de l'empreinte mécaniste dans laquelle il voit la raison profonde de ces difficultés. L’impossibilité de mesurer à la fois avec une précision illimitée la position et la vitesse d’un corpuscule, qui a été traduite par Heisenberg en un « principe d'indétermination », lui apparaît comme résultant de l'extrapolation hâtive de la notion individuelle de corpuscule dans le domaine intra-atomique ou elle n'est pas adéquate. Il pense que les physiciens doivent non pas renoncer à l'attitude scientifique qui postule l'intelligibilité du monde, au moment même où elle vient de se montrer si féconde, mais renouveler aussi profondément qu'il sera nécessaire les notions qu’ils ont utilisées à l'échelle humaine, lorsque celles-ci se révèlent manifestement insuffisantes à une échelle de plus en plus fine.

Au milieu de travaux d’une si haute portée scientifique et philosophique abandonnant parfois la spéculation pure, Paul Langevin s’est maintes fois attaché a résoudre d'intéressants problèmes d’ordre pratique.

Le plus important est celui auquel il a consacré les années de la guerre dans le but de trouver un moyen de repérer les sous-marins : en utilisant les propriétés piézo-électriques du quartz, il a pu obtenir la production d’ultrasons, ou ondes élastiques de grande fréquence, dont l'intérêt est de pouvoir être émises en un faisceau dirigé dont la réflexion sur un obstacle permet de déceler celui-ci.

Les applications de cette technique, très nombreuses aujourd'hui, concernent le sondage pratiquement continu des fonds ; la détection des obstacles, qui assure la sécurité de la navigation ; la stabilisation des fréquences radioélectriques par résonance d'une lame de quartz maintenue à température bien constante — ce procédé vient de recevoir en Amérique une extension fort intéressante à la transmission par un même fil de plusieurs conversations modulées simultanément sur des fréquences différentes.

Il a aussi utilisé la résonance du quartz dans l'enregistrement des pressions où la méthode piézo-électrique offre le grand avantage d'une égale précision relative, qu'il s'agisse de pressions très faibles comme la tension artérielle, ou très fortes comme dans les coups de bélier.

Paul Langevin fut appelé très jeune au Collège de France où il suppléa Mascart avant même d’avoir terminé sa thèse de Doctorat, pour lui succéder quelques années plus tard, en 1909. Il y a toujours maintenu à une grande hauteur l'enseignement des diverses phases de l'évolution extraordinairement rapide de la Physique dans cette période, souvent inédites dont on retrouve certaines dans des publications de ses nombreux élèves ; presque tous nos jeunes savants physiciens, en effet, lui doivent la part la plus féconde de leur formation d’esprit.

Il a été appelé aussi à porter, en bien des chaires étrangères, la profonde richesse de son esprit et la rare clarté de son enseignement. Nombreuses sont les universités étrangères dont il a été nommé Docteur honoris causa, et les Société savantes qui ont tenu a honneur de le compter parmi leurs membres, citons parmi celles-ci la Société Royale de Londres et l'Académie des Lincei à Rome. Et c'est à l'unanimité qu'il a été élu en 1928 Président du Conseil International de Physique Solvay en remplacement du grand Lorentz.

Directeur scientifique du Journal de Physique, membre de |’Académie de Marine, il a été Président de la Société de Physique, de la Société de Chimie Physique et de la Société des Electriciens. Il est Directeur depuis 1925 de l'Ecole de Physique et de Chimie où il avait été tout d’abord Professeur dès 1905, puis Directeur des Etudes.

Très ouvert à toutes les formes d’activité et de progrès humains, il s'intéresse particulièrement aux questions de culture et d’éducation auxquelles il a consacré beaucoup de temps et d'efforts, non seulement dans cette Ecole où il tient à maintenir l'enseignement à un niveau élevé de culture générale, mais aussi en dehors. Il est Président de la Société de Pédagogie et du Groupe français d’Education nouvelle ; et il a fait partie de la mission internationale appelée en Chine en 1931, pour y étudier les possibilités de réorganisation et de développement de l'Enseignement public.

Paul Langevin est Membre de l’Institut et Commandeur de la Légion d’honneur.