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LETTRES PERSANES.


blé est extrêmement cher, et que la famine règne presque partout : mais rendez-moi mon argent, et je vous donnerai une mesure de blé ; car je ne veux pas m’en défaire autrement, dussiez-vous crever de faim.

Cependant une maladie cruelle ravageait la contrée. Un médecin habile y arriva du pays voisin, et donna ses remèdes si à propos, qu’il guérit tous ceux qui se mirent dans ses mains. Quand la maladie eut cessé, il alla, chez tous ceux qu’il avait traités, demander son salaire ; mais il ne trouva que des refus : il retourna dans son pays, et il y arriva accablé des fatigues d’un si long voyage. Mais, bientôt après, il apprit que la même maladie se faisait sentir de nouveau, et affligeait plus que jamais cette terre ingrate. Ils allèrent à lui cette fois, et n’attendirent pas qu’il vînt chez eux. Allez, leur dit-il, hommes injustes, vous avez dans l’âme un poison plus mortel que celui dont vous voulez guérir ; vous ne méritez pas d’occuper une place sur la terre, parce que vous n’avez point d’humanité, et que les règles de l’équité vous sont inconnues : je croirais offenser les dieux qui vous punissent, si je m’opposais à la justice de leur colère.


D’Erzeron, le 3 de la lune de gemmadi 2, 1711.