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LETTRE XXX.


j’aie très-bonne opinion de moi, je ne me serais jamais imaginé que je dusse troubler le repos d’une grande ville, où je n’étais point connu. Cela me fit résoudre à quitter l’habit persan, et à en endosser un à l’européenne, pour voir s’il resterait encore, dans ma physionomie, quelque chose d’admirable. Cet essai me fit connaître ce que je valais réellement. Libre de tous les ornements étrangers, je me vis apprécié au plus juste. J’eus sujet de me plaindre de mon tailleur, qui m’avait fait perdre, en un instant, l’attention et l’estime publique ; car j’entrai tout à coup dans un néant affreux. Je demeurais quelquefois une heure dans une compagnie, sans qu’on m’eût regardé, et qu’on m’eût mis en occasion d’ouvrir la bouche : mais, si quelqu’un, par hasard, apprenait à la compagnie que j’étais Persan, j’entendais aussitôt autour de moi un bourdonnement : Ah ! ah ! monsieur est Persan ? C’est une chose bien extraordinaire ! Comment peut-on être Persan ?

De Paris, le 6 de la lune de chalval, 1712.