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LETTRE XXXVI.



LETTRE XXXVI.

USBEK A RHEDI.

A VENISE.

Le café est très en usage à Paris : il y a un grand nombre de maisons publiques où on le distribue. Dans quelques-unes de ces maisons, on dit des nouvelles ; dans d’autres, on joue aux échecs. Il y en a une [1] où l’on apprête le café de telle manière, qu’il donne de l’esprit à ceux qui en prennent : au moins, de tous ceux qui en sortent, il n’y a personne qui ne croie qu’il en a quatre fois plus que lorsqu’il y est entré.

Mais, ce qui me choque de ces beaux esprits, c’est qu’ils ne se rendent pas utiles à leur patrie, et qu’ils amusent leurs talents à des choses puériles. Par exemple, lorsque j’arrivai à Paris, je les trouvai échauffés sur une dispute la plus mince qu’il [2] se puisse imaginer : il s’agissait de la réputation d’un vieux poëte grec, [3] dont, depuis deux mille ans, on ignore la patrie, aussi bien que le temps de sa mort. Les deux partis avouaient que c’était un poëte

  1. Le café Procope, rendez-vous des beaux esprits au XVIIIe siècle.
  2. A. Qui se puisse.
  3. La querelle des anciens et des modernes. Homère était le grand objet de cette dispute où figuraient Boileau, Perrault, Lamotte et Mme Dacier.