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LETTRE XLVIII.

J’ai passé quelques jours dans une maison de campagne auprès de Paris, chez un homme de considération, qui est ravi d’avoir de la compagnie chez lui. Il a une femme fort aimable, et qui joint à une grande modestie une gaieté que la vie retirée ôte toujours à nos dames de Perse.

Étranger que j’étais, je n’avais rien de mieux à faire que d’étudier cette foule de gens qui y abordaient sans cesse, et qui me présentaient toujours quelque chose de nouveau. [1] Je remarquai d’abord un homme, dont la simplicité me plut ; je m’attachai à lui, il s’attacha à moi ; de sorte que nous nous trouvions toujours l’un auprès de l’autre.

Un jour que, dans un grand cercle, nous nous entretenions en particulier, laissant les conversations générales à elles-mêmes : Vous trouverez peut-être en moi, lui dis-je, plus de curiosité que de politesse ; mais je vous supplie d’agréer que je vous fasse quelques questions, car je m’ennuie de n’être au fait de rien, et de vivre avec des gens que je ne saurais démêler. Mon esprit travaille depuis deux jours ; il n’y a pas un seul de ces hommes qui ne m’ait donné deux cents fois la torture ; et je ne les devinerais de mille ans ; [2] ils me sont plus invisibles que les femmes de notre grand monarque. Vous n’avez qu’à dire, me répondit-il, et je vous instruirai de tout ce que vous souhaiterez ; d’autant mieux que je vous crois homme discret, et que vous n’abuserez pas de ma confiance.

  1. A. C. Que d’étudier, selon ma coutume, sur cette foule de gens qui y abordait sans cesse, dont les caractères me présentaient, etc.
  2. A. C. Qui ne m’ait donné la torture plus de deux cents fois  ; et cependant je ne les devinerais de mille ans.