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LETTRE LI.


jamais que ce fût une peine d’en être exilé ; cependant, dès qu’un grand est disgracié, on le relègue en Sibérie.

Comme la loi de notre prophète nous défend de boire du vin, celle du prince le défend aux Moscovites.

Ils ont une manière de recevoir leurs hôtes, qui n’est point du tout persane. Dès qu’un étranger entre dans une maison, le mari lui présente sa femme, l’étranger la baise ; et cela passe pour une politesse faite au mari.

Quoique les pères, au contrat de mariage de leurs filles, stipulent ordinairement que le mari ne les fouettera pas ; cependant on ne saurait croire combien les femmes moscovites aiment à être battues ; [1] elles ne peuvent comprendre qu’elles possèdent le cœur de leur mari, s’il ne les bat comme il faut. Une conduite opposée de sa part est une marque d’indifférence impardonnable. Voici une lettre qu’une d’elles écrivit dernièrement à sa mère :

« Ma chère mère,

« Je suis la plus malheureuse femme du monde : il n’y a rien que je n’aie fait pour me faire aimer de mon mari, et je n’ai jamais pu y réussir. Hier, j’avais mille affaires dans la maison ; je sortis, et je demeurai tout le jour dehors : je crus, à mon retour, qu’il me battrait bien fort ; mais il ne me dit pas un seul mot. Ma sœur est bien autrement traitée : son mari la bat [2] tous les jours ; elle ne peut pas regarder un homme, qu’il ne l’assomme soudain : ils s’aiment beaucoup aussi, et ils vivent de la meilleure intelligence du monde.

« C’est ce qui la rend si fière : mais je ne lui donnerai pas longtemps sujet de me mépriser. J’ai résolu de me faire aimer

  1. Ces mœurs sont changées. (M.) Cette note n’est pas dans la première édition.
  2. A. La roue de coups.