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LETTRES PERSANES.


personne ne console, ce sont les maris jaloux ; il y en a que tout le monde hait, ce sont les maris jaloux ; il y en a que tous les hommes méprisent, ce sont encore les maris jaloux.

Aussi n’y a-t-il point de pays où ils soient en si petit nombre que chez les François. Leur tranquillité n’est pas fondée sur la confiance qu’ils ont en leurs femmes ; c’est au contraire sur la mauvaise opinion qu’ils en ont. Toutes les sages précautions des Asiatiques, les voiles qui les couvrent, les prisons où elles sont détenues, la vigilance des eunuques, leur paraissent des moyens plus propres à exercer l’industrie de ce sexe, [1] qu’à la lasser. Ici, les maris prennent leur parti de bonne grâce, et regardent les infidélités comme des coups d’une étoile inévitable. Un mari, qui voudrait seul posséder sa femme, serait regardé comme un perturbateur de la joie publique, et comme un insensé qui voudrait jouir de la lumière du soleil, à l’exclusion des autres hommes.

Ici, un mari qui aime sa femme est un homme qui n’a pas assez de mérite pour se faire aimer d’une autre ; qui abuse de la nécessité de la loi, pour suppléer aux agréments qui lui manquent ; qui se sert de tous ses avantages, au préjudice d’une société entière ; qui s’approprie ce qui ne lui avait été donné qu’en engagement ; et qui agit, autant qu’il est en lui, pour renverser une convention tacite, qui fait le bonheur de l’un et de l’autre sexe. Ce titre de mari d’une jolie femme, qui se cache en Asie avec tant de soin, se porte ici sans inquiétude. On se sent en état de faire diversion partout. Un prince se console de la perte d’une place, par la prise d’une autre : dans le temps

  1. A. C. L’industrie du sexe.