Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t1.djvu/232

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
210
LETTRES PERSANES.



LETTRE LXI.

USBEK A RHÉDI.


A VENISE.


J’entrai l’autre jour dans une église fameuse, qu’on appelle Notre-Dame : pendant que j’admirais ce superbe édifice, j’eus occasion de m’entretenir avec un ecclésiastique, que la curiosité y avait attiré comme moi. La conversation tomba sur la tranquillité de sa profession. La plupart des gens, me dit-il, envient le bonheur de notre état, et ils ont raison ; cependant il a ses désagréments : nous ne sommes point si séparés du monde, que nous n’y soyons appelés en mille occasions ; là, nous avons un rôle très-difficile à soutenir.

Les gens du monde sont étonnants : ils ne peuvent souffrir notre approbation ni nos censures : si nous les voulons corriger, ils nous trouvent ridicules ; si nous les approuvons, ils nous regardent comme des gens au-dessous de notre caractère. Il n’y a rien de si humiliant que de penser qu’on a scandalisé les impies mêmes. Nous sommes donc obligés de tenir une conduite équivoque, et d’en imposer [1] aux libertins, non pas par un caractère décidé, mais par l’in-

  1. A. C. Et d’imposer.