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LETTRES PERSANES.


même. Des raisons particulières l’ont obligé de se retirer dans cette ville, où il vit tranquille du produit d’un trafic honnête, avec une femme qu’il aime. Sa vie est toute marquée d’actions généreuses ; et, quoiqu’il cherche la vie obscure, il y a plus d’héroïsme dans son cœur, que dans celui des plus grands monarques.

Je lui ai parlé mille fois de toi, je lui montre toutes tes lettres : je remarque que cela lui fait plaisir, et je vois déjà que tu as un ami qui t’est inconnu.

Tu trouveras ici ses principales aventures : quelque répugnance qu’il eût à les écrire, il n’a pu les refuser à mon amitié, et je les confie à la tienne.


HISTOIRE

D’APHERIDON ET D’ASTARTÉ[1].

Je suis né parmi les guèbres, d’une religion qui est peut-être la plus ancienne qui soit au monde. Je fus si malheureux, que l’amour me vint avant la raison. J’avais à peine six ans, que je ne pouvais vivre qu’avec ma sœur : mes yeux s’attachaient toujours sur elle ; et, lorsqu’elle me quittait un moment, elle les retrouvait baignés de larmes : chaque jour n’augmentait pas plus mon âge que mon amour. Mon père, étonné d’une si forte sympathie, aurait bien souhaité de nous marier ensemble, selon l’ancien usage des guèbres, introduit par Cambyse ; [2] mais la crainte des mahométans, sous le joug desquels nous vivons,

  1. D’ASTRATÉ.
  2. C’est un Cambyse fabuleux, père d’Hystaspe ou Gustaspe, roi de Perse, sous lequel vivait Zoroastre.