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LETTRES PERSANES.


comporter d’une telle manière ; et il pourra assurer que la chose arrivera comme il la projette.

L’Alcoran et les livres des juifs s’élèvent sans cesse contre le dogme de la prescience absolue : Dieu y paraît partout ignorer la détermination future des esprits ; et il semble que ce soit la première vérité que Moïse ait enseignée aux hommes.

Dieu met Adam dans le paradis terrestre, à condition qu’il ne mangera point d’un certain fruit : précepte absurde dans un être qui connaîtrait les déterminations futures des âmes ; car enfin un tel être peut-il mettre des conditions à ses grâces, sans les rendre dérisoires ? C’est comme si un homme, qui aurait su la prise de Bagdat, [1] disait à un autre : Je vous donne cent tomans, si Bagdat n’est pas pris. [2] Ne ferait-il pas là une bien mauvaise plaisanterie ?

Mon cher Rhédi, [3] pourquoi tant de philosophie ? Dieu est si haut, que nous n’apercevons pas même ses nuages. Nous ne le connaissons bien que dans ses préceptes. Il est immense, spirituel, infini. Que sa grandeur nous ramène à notre faiblesse. S’humilier toujours, c’est l’adorer toujours.

De Paris, le dernier de la lune de chahban, 1714.

  1. Bagdad.
  2. A. C. C’est comme si un homme qui aurait sçù la prise de Bagdat avait dit à un autre : Je vous donne mille écus si Bagdat n’est pas pris.
  3. Tout ce paragraphe manque dans A. C'est une addition de l'éd. 1751.