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DE M. DE MONTESQUIEU.


mérite que plus l’attention d’un voyageur philosophe. M. de Montesquieu écrivit un journal exact de cette partie de ses voyages.[1]

Il rentra dans le monde par Venise, où il trouva le comte de Bonneval, cet homme si célèbre par ses aventures, par ses projets et par ses malheurs ; spectacle digne d’un tel observateur.

Prenant sa route par Turin, il arriva à Rome où il vit, avec les yeux d’un homme de goût, que la nature n’a accordés que rarement aux philosophes, les merveilles de l’antiquité et celles qui y ont été ajoutées par les Michel-Ange, les Raphaël, les Titien. Mais plus curieux de voir les grands hommes que les prodiges de l’art, il se lia étroitement avec le cardinal de Polignac, alors ambassadeur de France,[2] et avec le cardinal Corsini, depuis pape sous le nom de Clément XII.

M. de Montesquieu revenant par la Suisse suivit le cours du Rhin, et après s’être arrêté quelque temps en Hollande, passa en Angleterre. C’était là proprement le terme de ses voyages ; c’était là qu’il devoit trouver tant de grands hommes, à la tête desquels nous mettrons cette reine,[3]digne de la conversation de Newton et de Locke, et qui ne trouva pas moins de plaisir

  1. Ce journal n’a pas été publié.
  2. Il fut toujours ami de M. le cardinal de Polignac, et rendit justice à ses talents avec cette critique délicate qui ne blesse point, parce que l’estime y domine. Voici ce qu’il m’écrivoit :

    « L’Anti-Lucrèce du cardinal de Polignac paroît, et il a eu un grand succès. C’est un enfant qui ressemble a son père ; il décrit agréablement et avec grâce, mais il décrit tout et s’amuse partout. J’aurois voulu qu’on en eût retranché environ deux mille vers ; mais ces deux mille vers étaient l’objet du culte de ***(a) comme les autres, et on a mis à la tête de cela des gens qui connaissoient le latin de l’Énéide, mais qui ne connaissoient pas l’Énéide. N. est admirable ; il m’a expliqué tout l’Anti-Lucrèce, et je m’en trouve fort bien. Pour vous, je vous trouve encore plus extraordinaire ; vous me dites de vous aimer, et vous savez que je ne puis faire autre chose. » (Maup.)

  3. La reine Anne.

    a L’abbé de Rothelin, dit-on.