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LETTRES PERSANES.


de la constitution de mon corps : selon que j’ai plus ou moins d’esprits animaux, que mon estomac digère bien ou mal, que l’air que je respire est subtil ou grossier, que les viandes dont je me nourris sont légères ou solides, je suis spinosiste, socinien, catholique, impie ou dévot. Quand le médecin est auprès de mon lit, le confesseur me trouve à son avantage. Je sais bien empêcher la religion de m’affliger quand je me porte bien ; mais je lui permets de me consoler quand je suis malade : lorsque je n’ai plus rien à espérer d’un côté, la religion se présente, et me gagne par ses promesses ; je veux bien m’y livrer, et mourir du côté de l’espérance.

Il y a longtemps que les princes chrétiens affranchirent tous les esclaves de leurs États ; parce que, disaient-ils, le christianisme rend tous les hommes égaux. Il est vrai que cet acte de religion leur était très-utile : ils abaissaient [1] par là les seigneurs, de la puissance desquels ils retiraient le bas peuple. Ils ont ensuite fait des conquêtes dans des pays où ils ont vu qu’il leur était avantageux d’avoir des esclaves : [2] ils ont permis d’en acheter et d’en vendre, oubliant ce principe de religion qui les touchait tant. Que veux-tu que je te dise ? Vérité dans un temps, erreur dans un autre. Que ne faisons-nous comme les chrétiens ? Nous sommes bien simples de refuser des établissements et des conquêtes faciles dans des climats heureux, [3] parce que l’eau n’y est pas assez pure pour nous laver, selon les principes du saint Alcoran.

Je rends grâces au Dieu tout-puissant, qui a envoyé

  1. A. Parce qu'ils abaissoient
  2. Les colonies.
  3. Les mahométans ne se soucient point de prendre Venise, parce qu’ils n’y trouveraient point d’eau pour leurs purifications. (M.)