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LETTRE LXXVI.


retire point les avantages de la sujétion ? Mes concitoyens peuvent-ils demander ce partage inique de leur utilité et de mon désespoir ? Dieu, différent de tous les bienfaiteurs, veut-il me condamner à recevoir des grâces qui m’accablent ?

Je suis obligé de suivre les lois quand je vis sous les lois ; mais quand je n’y vis plus, peuvent-elles me lier encore ?

Mais, dira-t-on, vous troublez l’ordre de la Providence. Dieu a uni votre âme avec votre corps, vous l’en séparez ; vous vous opposez donc à ses desseins et vous lui résistez. [1]

Que veut dire cela ? [2] Troublé-je l’ordre de la Providence, lorsque je change les modifications de la matière, et que je rends carrée une boule que les premières lois du mouvement, c’est-à-dire les lois de la création et de la conservation, avaient faite ronde ? Non, sans doute ; je ne fais qu’user du droit qui m’a été donné ; et, en ce sens, je puis troubler à ma fantaisie toute la nature, sans que l’on puisse dire que je m’oppose à la Providence.

Lorsque mon âme sera séparée de mon corps, y aura-t-il moins d’ordre et d’arrangement dans l’univers ? Croyez-vous que cette nouvelle combinaison soit moins parfaite et moins dépendante des lois générales ? que le monde y ait perdu quelque chose, et que les ouvrages de Dieu en soient moins grands, ou plutôt moins immenses ?

  1. C’est là l’objection véritable. Usbek n’y répond pas. Oui, si Dieu vous a donné la vie, c’est pour en remplir les devoirs et non pour déserter. Dire que, l’âme une fois dégagée du corps, la nouvelle combinaison ne sera pas moins parfaite et moins dépendante des lois générales, c’est une assertion matérialiste qui détruit toute morale. Avec le même raisonnement on justifierait l’assassinat.
  2. A. Que cela veut-il dire ?