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LETTRES PERSANES.


entre d’autres parties que celles qui y étaient intéressées.

Pour peu qu’un homme fût connu d’un autre, il fallait qu’il entrât dans la dispute, et qu’il payât de sa personne, comme s’il avait été lui-même en colère. Il se sentait toujours honoré d’un tel choix et d’une préférence si flatteuse ; et tel qui n’aurait pas voulu donner quatre pistoles à un homme pour le sauver de la potence, lui et toute sa famille, ne faisait aucune difficulté d’aller risquer pour lui mille fois sa vie.

Cette manière de décider était assez mal imaginée ; car, de ce qu’un homme était plus adroit ou plus fort qu’un autre, il ne s’ensuivait pas qu’il eût de meilleures raisons.

Aussi, les rois l’ont-ils défendue sous des peines très-sévères : [1] mais c’est en vain ; l’honneur, qui veut toujours régner, se révolte, et il ne reconnaît point de lois.

Ainsi les Français sont dans un état bien violent ; car les mêmes lois de l’honneur obligent un honnête homme de se venger quand il a été offensé ; mais, d’un autre côté, la justice le punit des plus cruelles peines lorsqu’il se venge. Si l’on suit les lois de l’honneur, on périt sur un échafaud ; si l’on suit celles de la justice, on est banni pour jamais de la société des hommes : il n’y a donc que cette cruelle alternative, ou de mourir, ou d’être indigne de vivre.

De Paris, le 18 de la lune de gemmadi 2, 1715.

  1. L’édit de Louis XIV prononce la peine de mort contre les duellistes.