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LETTRE XCIII.




LETTRE XCIII.


USBEK A SON FRÈRE,


SANTON [1] AU MONASTÈRE DE CASBIN.


Je m’humilie devant toi, sacré santon, et je me prosterne ; je regarde les vestiges de tes pieds comme la prunelle de mes yeux. Ta sainteté est si grande qu’il semble que tu aies le cœur de notre saint prophète : tes austérités étonnent le ciel même ; les anges t’ont regardé du sommet de la gloire, et ont dit : Comment est-il encore sur la terre, puisque son esprit est avec nous, et vole autour du trône qui est soutenu par les nuées ?

Et comment ne t’honorerais-je pas, moi qui ai appris de nos docteurs que les dervis, même infidèles, ont toujours un caractère de sainteté qui les rend respectables aux vrais croyants ; et que Dieu s’est choisi, dans tous les coins de la terre, des âmes plus pures que les autres, qu’il a séparées du monde impie, afin que leurs mortifications et leurs prières ferventes suspendissent sa colère, prête à tomber sur tant de peuples rebelles ?

Les chrétiens disent des merveilles de leurs premiers santons, qui se réfugièrent à milliers dans les déserts

  1. Moine musulman.