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LETTRES PERSANES.


d’où vient cela, si ce n’est de ce qu’il est tyrannique et affreux ?

« Les changements ne peuvent être faits que par le prince, ou par le peuple : mais, là, les princes n’ont garde d’en faire ; parce que, dans un si haut degré de puissance, ils ont tout ce qu’ils peuvent avoir : s’ils changeaient quelque chose, ce ne pourrait être qu’à leur préjudice.

« Quant aux sujets, si quelqu’un d’eux forme quelque résolution, il ne saurait l’exécuter sur l’État ; il faudrait qu’il contre-balançât tout à coup une puissance redoutable et toujours unique ; le temps lui manque, comme les moyens : mais il n’a qu’à aller à la source de ce pouvoir ; et il ne lui faut qu’un bras et qu’un instant.

« Le meurtrier monte sur le trône, pendant que le monarque en descend, tombe et va expirer à ses pieds.

« Un mécontent, en Europe, songe à entretenir quelque intelligence secrète, à se jeter chez les ennemis, à se saisir de quelque place, à exciter quelques vains murmures parmi les sujets. Un mécontent, en Asie, va droit au prince, étonne, frappe, renverse : il en efface jusqu’à l’idée ; dans un instant l’esclave et le maître ; dans un instant, usurpateur et légitime. »

Malheureux le roi qui n’a qu’une tête ! Il semble ne réunir sur elle toute sa puissance, que pour indiquer au premier ambitieux l’endroit où il la trouvera tout entière.

De Paris, le 17 de la lune de rébiab 2, 1717.