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LETTRES PERSANES.

Tu as lu les historiens : fais-y bien attention ; presque toutes les monarchies n’ont été fondées que sur l’ignorance des arts, et n’ont été détruites que parce qu’on les a trop cultivés. L’ancien empire de Perse peut nous en fournir un exemple domestique.

Il n’y a pas longtemps que je suis en Europe ; mais j’ai ouï parler à des gens sensés des ravages de la chimie. [1] Il semble que ce soit un quatrième fléau, qui ruine les hommes et les détruit en détail, mais continuellement ; tandis que la guerre, la peste, la famine, les détruisent en gros, mais par intervalles.

Que nous a servi l’invention de la boussole, et la découverte de tant de peuples, qu’à nous communiquer leurs maladies plutôt que leurs richesses ? L’or et l’argent avaient été établis, par une convention générale, [2] pour être le prix de toutes les marchandises, et un gage de leur valeur, par la raison que ces métaux étaient rares et inutiles à tout autre usage : [3] que nous importait-il donc qu’ils devinssent plus communs ? et que, pour marquer la valeur d’une denrée, nous eussions deux ou trois signes au lieu d’un ? Cela n’en était que plus incommode.

Mais, d’un autre côté, cette invention a été bien pernicieuse aux pays qui ont été découverts. Les nations entières ont été détruites ; et les hommes qui ont échappé à la mort ont été réduits à une servitude si rude, que le récit en fait frémir [4] les musulmans.

  1. C’est ainsi que Montesquieu nomme l’alchimie.
  2. Ce n’est pas une convention générale, mais la valeur métallique qui fait le prix de l’or et de l’argent.
  3. L’or et l’argent ne servent pas seulement de monnaie ; on peut les employer, aussi bien que l’étain et le cuivre, aux usages les plus divers.
  4. A. C. En a fait frémir, etc.