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LETTRES PERSANES.


de celui des anciens Perses, qui fut l’effet de leur mollesse ; mais il s’en faut bien que cet exemple décide, puisque les Grecs qui les vainquirent tant de fois, et les subjuguèrent, [1] cultivaient les arts, avec infiniment plus de soin qu’eux.

Quand on dit que les arts rendent les hommes efféminés, on ne parle pas du moins des gens qui s’y appliquent, puisqu’ils ne sont jamais dans l’oisiveté, qui, de tous les vices, est celui qui amollit le plus le courage.

Il n’est donc question que de ceux qui en jouissent. Mais comme, dans un pays policé, ceux qui jouissent des commodités d’un art sont obligés d’en cultiver un autre, à moins de se voir [2] réduits à une pauvreté honteuse, il suit que l’oisiveté et la mollesse sont incompatibles avec les arts.

Paris est peut-être la ville du monde la plus sensuelle, et où l’on raffine le plus sur les plaisirs ; mais c’est peut-être celle où l’on mène une vie plus dure. Pour qu’un homme vive délicieusement, il faut que cent autres travaillent sans relâche. Une femme s’est mis dans la tête qu’elle devait paraître à une assemblée avec une certaine parure ; il faut que, dès ce moment, cinquante artisans ne dorment plus, et n’aient plus le loisir de boire et de manger ; elle commande, et elle est obéie plus promptement que ne serait notre monarque, parce que l’intérêt est le plus grand monarque de la terre.

Cette ardeur pour le travail, cette passion de s’enrichir, passe de condition en condition, depuis les artisans jusqu’aux grands. Personne n’aime à être plus pauvre que celui qu’il vient de voir immédiatement au-dessous de lui.

  1. A. C. Puisque les Grecs qui les subjuguèrent, cultivaient les arts, etc.
  2. A. C. A moins que de se voir.