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LETTRES PERSANES.


mis bien des fois le genre humain à deux doigts de sa perte.

Les histoires sont pleines de ces pestes universelles qui ont tour à tour désolé l’univers. Elles parlent d’une, entre autres, qui fut si violente, qu’elle brûla jusqu’à la racine des plantes, et se fit sentir dans tout le monde connu, jusqu’à l’empire du Catay ; [1] un degré de plus de corruption aurait, peut-être dans un seul jour, détruit toute la nature humaine.

Il n’y a pas deux siècles que la plus honteuse de toutes les maladies se fit sentir en Europe, en Asie et en Afrique ; elle fit, dans très-peu de temps, des effets prodigieux ; c’était fait des hommes, si elle avait continué ses progrès avec la même furie. Accablés de maux dès leur naissance, incapables de soutenir le poids des charges de la société, ils auraient péri misérablement.

Qu’aurait-ce été, si le venin eût été un peu plus exalté ? et il le serait devenu, sans doute, si l’on n’avait été assez heureux pour trouver un remède aussi puissant que celui qu’on a découvert. [2] Peut-être que cette maladie, attaquant les parties de la génération, aurait attaqué la génération même.

Mais pourquoi parler de la destruction qui aurait pu arriver au genre humain ? N’est-elle pas arrivée en effet ? et le déluge ne le réduisit-il pas à une seule famille ?

Il y a des philosophes [3] qui distinguent deux créations : celle des choses et celle de l’homme. Ils ne peuvent comprendre

  1. La Chine.
  2. Le mercure.
  3. A. C. n’ont point cette première phrase, et rédigent ainsi le paragraphe : Ceux qui connaissent la nature et qui ont de Dieu une idée raisonnable, peuvent-ils comprendre que la matière, etc.