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LETTRE CXXX.




LETTRE CXXX.


RICA A ***



Je te parlerai dans cette lettre d’une certaine nation qu’on appelle les nouvellistes, qui s’assemblent dans un jardin magnifique, [1] où leur oisiveté est toujours occupée. Ils sont très-inutiles à l’Etat, et leurs discours de cinquante ans n’ont pas un effet différent de celui qu’aurait pu produire un silence aussi long ; cependant ils se croient considérables, parce qu’ils s’entretiennent de projets magnifiques, et traitent de grands intérêts.

La base de leurs conversations est une curiosité frivole et ridicule ; il n’y a point de cabinet si mystérieux qu’ils ne prétendent pénétrer ; ils ne sauraient consentir à ignorer quelque chose ; ils savent combien notre auguste sultan a de femmes, combien il fait d’enfants toutes les années ; et, quoiqu’ils ne fassent aucune dépense en espions, ils sont instruits des mesures qu’il prend pour humilier l’empereur des Turcs et celui des Mogols.

A peine ont-ils épuisé le présent qu’ils se précipitent dans l’avenir, et, marchant au-devant de la Providence,

  1. Les Tuileries.

    Dufresny, Amusements, etc., ch. VI : « L’incommodité de ces promenades les (Tuileries), c’est qu’on y est tourmenté de plusieurs insectes : des mouches en été, des cousins en automne, et en tout temps des nouvellistes. »